Préface du colonel Buttay Chef de corps 1992/1994
Trois siècles et demi d'histoire et de mémoire. Jamais le terme de patrimoine ne prend un sens aussi fort que lorsqu'il s'agit de transmettre, comme on passe le témoin d'un relais, les exploits, les sacrifices et la vie quotidienne des hommes connus ou anonymes qui ont construit la communauté que constitue un régiment. L'homme est le seul animal qui se souvienne de son grand-père. Cette capacité de mémoire donne à un corps comme le 46 une dimension historique. L'histoire du 46 c'est précisément le roman vrai de ces paladins avec leur succès et leurs déboires, leurs triomphes rayonnants et leurs souffrances cruelles.
Cette aventure humaine témoigne d'une permanence qui s'exprime au long des siècles : des combats civils de la Fronde dans l'ombre redoutable de Mazarin à la mission de protection de Berlin-Ouest voici un corps qui n'a jamais trébuché ! De Bretagne, il a gardé l'orgueilleuse devise de la maison : « la mort plutôt que la souillure » en quelque sorte l'antithèse du slogan « plutôt rouge que mort » que déployaient les complices des totalitaires !
Combien sont tombés sur la frontière du Nord ? Combien à la Moskowa, à Sébastopol, à Vauquois ou sur l'Aisne ?
Écrire leur histoire c'est jeter au vent du siècle, comme le pollen au printemps, les échos de leur gloire. C'est maintenir vivants dans leur pose de légende Castelnau et Chabanes Lorencez, Cambronne et Collignon ! Légendaire, exemplaire, qui peut prétendre l'être davantage que Théophile Malo Corret de La Tour d'Auvergne ? Une fierté antique et un désintéressement qui s'apparente à la « sainteté républicaine ». Le premier grenadier des armées de la République a confié au 46 son extraordinaire panache et son message d'universelle humanité.
Le terme de la mission des forces de Berlin entraîne la disparition du régiment de l'ordre de bataille de l'armée d'active. Gardien vigilant, sentinelle avancée du monde libre sur cet étrange mur frontière, il s'efface en quelque sorte pour cause de victoire !… Personne ne sait lire l'avenir. Personne ne peut affirmer que l'obsession du devoir et du service qui a caractérisé le régiment pendant trois siècles et demi ne sera pas demain à nouveau indispensable.
Fusiliers, voltigeurs et grenadiers de Mazarin – français, de Bretagne du 46, ils transcendent les siècles avec leur insatiable volonté de servir ! Ils seront prêts, demain s'il le faut, à enlever des redoutes, à franchir des fleuves, à monter en ligne à Vauquois, à se sacrifier sur l'Aisne, à veiller face au mur !
Que la mémoire des hommes du 46 nous aide à faire prendre conscience qu'il manque déjà !
signé Daniel Buttay